Ce deuxième article consacré à un pays, après la collecte de fonds en Suisse, donne le coup d’envoi d’une nouvelle série d’articles de blog consacrés à un aperçu des pratiques de collecte de fonds dans différents pays du monde.
Svitlana Kuts, Directrice de Institute of Professional Fundraising et professionnelle ukrainienne de la collecte de fonds, nous fait part de son point de vue sur la situation de la collecte de fonds en Ukraine et sur son évolution depuis le début de la guerre, il y a deux ans. Elle s’appuie sur une étude approfondie sur laquelle elle travaille actuellement pour l’Institute of Professional Fundraising et qui s’intitule « Third Sector as Third Power : A Study of Resource Mobilization ».
1- Le pouvoir des collecteurs de fonds bénévoles
Au début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, le 24 février 2022, l’espace de communication mondial a été inondé d’appels à soutenir les besoins urgents des défenseurs et des civils ukrainiens de la part d’individus et d’organisations qui collectent des fonds. Le phénomène du volontariat, version ukrainienne des collecteurs de fonds bénévoles qui se sont mobilisés en masse en 2014 lors de la première phase de la guerre, a repris de plus belle.
Des particuliers, de leur propre initiative, ont commencé à collecter des fonds pour l’achat d’articles nécessaires à l’armée et aux unités de défense territoriale, ainsi que pour le sauvetage de civils, tout en exécutant dûment l’affaire pour laquelle un soutien avait été reçu. Ils se sont rapidement associés à d’autres activistes et organisations pour former des chaînes logistiques et des arrangements opérationnels, souvent non formels. Souvent, des célébrités sont devenues les têtes d’affiche des campagnes des fondations et des organisations publiques créées avant la guerre et de celles nouvellement créées. Le nombre d’OSC a augmenté de façon spectaculaire, ce qui a donné naissance à une société civile mieux organisée et plus compétente. Depuis le jour de l’invasion totale, ce mouvement ne s’est pas arrêté, ni dans le nombre de collectes, ni dans le nombre de personnes et d’organisations participantes.
La guerre n’a pas seulement augmenté le niveau des problèmes des bénéficiaires des organisations, mais elle est également devenue une impulsion pour aider les défenseurs et la population civile affectée par la guerre. C’est pourquoi les particuliers, les groupes d’initiative et les OSC ont participé activement à la fourniture de cette assistance, ainsi qu’à la collecte de fonds à cet effet. Par conséquent, l’invasion massive a donné une impulsion à l’activité de divers acteurs de la société civile issus du secteur privé, de différents secteurs, professions, modes de vie, etc.
2- Les indicateurs de dons en Ukraine
Selon le World Giving Index annuel de la Charities Aid Foundation, les dons de la société ukrainienne ont atteint la deuxième place mondiale, à la fois en termes de fonds et de ressources non matérielles en 2022. Selon l’indicateur global de don, qui comprend le niveau d’assistance aux étrangers, les dons financiers et le bénévolat, l’Ukraine a reçu un indicateur de 62 points en 2022 et est passée de 49 points en 2021 à la deuxième place parmi 142 pays. Les chercheurs de l’indice ont reconnu que l’Ukraine a ainsi établi un record mondial en matière d’augmentation des dons : en 2021, l’Ukraine se situait à la 10e place. En période de guerre, la société ukrainienne considère les besoins des défenseurs militaires comme l’objet principal des dons et donne principalement à ce secteur. Les solutions humanitaires à la crise ont été soutenues, et les catastrophes qui ont affecté la vie de la population civile ont influencé la dynamique des dons vers une augmentation soudaine, mais ils n’ont pas été stables. Cela est peut-être dû à la présence de programmes d’aide massive de la part d’organisations humanitaires internationales.
3- La capacité stratégique des collecteurs de fonds
Dans ce processus, un rôle important a été joué par les individus et les organisations qui ont créé des plateformes pour attirer et traiter les dons, soulignant la grande capacité d’auto-organisation de la société.
Il est intéressant de noter que, malgré les tendances alarmantes à la baisse des dons constatées par les collecteurs de fonds (particuliers et fondations caritatives) en 2023, ce niveau global de philanthropie en Ukraine est resté relativement stable pendant toute la période de deux ans qui a suivi le début de l’invasion à grande échelle. La capacité stratégique des collecteurs de fonds à répondre à une baisse de la portée des dons, qui a permis de maintenir le niveau global des dons, montre non seulement la présence de connaissances et de compétences dans le travail avec les donateurs, mais aussi les qualités et les compétences en matière d’analyse stratégique du marché et l’abandon rapide des pratiques stables de collecte de fonds qui n’étaient pas payantes.
Une part assez importante des donateurs fait des dons réguliers, ce qui confirme que les collecteurs de fonds sont de plus en plus nombreux à proposer des dons réguliers. Bien entendu, ces offres doivent être organisées soit sur le site web du bénéficiaire, soit par l’intermédiaire de l’instrument de paiement du donateur. Mais la voie des dons réguliers est évidente, car elle permet aux collecteurs de fonds de compter sur un certain montant de revenus réguliers.
Différents segments de donateurs ont répondu à l’appel aux dons de différentes manières. Cela confirme que les collecteurs de fonds suivent les tendances des différentes catégories de donateurs en fonction de leur sexe, de leur âge, de leur niveau d’éducation, de leur niveau de revenu, de leur lieu de résidence et de l’évolution de leurs pratiques de vie lorsqu’ils choisissent des stratégies pour attirer les dons.
4- Les changements organisationnels
Une dynamique significative vers des formes organisationnelles formelles de travail et de formation du secteur est observée sous la forme d’un passage de groupes d’activistes informels à des structures organisées. En général, on peut distinguer les catégories suivantes : les particuliers qui ont lancé une collecte de fonds de leur propre initiative, les groupes ou communautés qui se sont rassemblés pour aider les victimes de la guerre ou les défenseurs sur une base informelle, et les organisations caritatives ou civiques. L’histoire personnelle est souvent à l’origine de l’engagement pour une cause commune, du rapprochement des personnes et de la transition vers des activités institutionnalisées ou basées sur des projets.
L’augmentation du nombre de fondations caritatives depuis le début de l’agression à grande échelle en Ukraine représentait plus d’un tiers du nombre actuel. Des particuliers et des groupes d’initiative ont été institués en tant qu’organisations caritatives, souvent pour faciliter les procédures officielles de collecte de fonds et d’acquisition de ressources, en particulier pour l’armée. Certains collecteurs de fonds privés se sont enregistrés en tant que bénévoles, ce qui est autorisé par la législation ukrainienne. C’est ainsi que la société civile s’est formée de manière dynamique.
L’institutionnalisation du secteur est en corrélation avec la dynamique de l’implication dans la collecte de fonds : les organisations naissent en réponse aux besoins de la collecte de fonds systémique. Après tout, parmi les collecteurs de fonds privés, il y avait ceux qui avaient de l’expérience dans la collecte de fonds depuis le début de la guerre de 2014 ou de la Révolution de la Dignité, et il y avait aussi ceux qui ont rejoint après l’invasion. Les organisations caritatives ou civiques existantes au moment de l’invasion à grande échelle avaient déjà de l’expérience dans la collecte de fonds, elles ont donc continué à travailler pour leurs bénéficiaires, dont la vie est devenue plus difficile depuis le début de la guerre et ont commencé à aider activement la population civile touchée et ont changé leur objectif pour aider les défenseurs. Une partie du secteur des OSC a été créée après l’invasion exclusivement pour soutenir le pays pendant la guerre et attirer des fonds de citoyens ukrainiens ou d’autres pays pour surmonter les conséquences de la guerre et soutenir l’armée.
5- Le pouvoir des médias sociaux en temps de crise
Au début de la guerre, les collecteurs de fonds ont activement utilisé la communication avec les donateurs potentiels via les réseaux sociaux, principalement Facebook/META, Instagram, les vidéos sur YouTube, la communication via les canaux Telegram ou les groupes dans les messageries. Les appels aux dons sur les réseaux sociaux ont parfois donné des résultats inattendus, et les donateurs ont confirmé que les réseaux sociaux étaient l’une des principales sources d’information pour décider d’un don.
Cependant, la plupart des collecteurs de fonds ont noté que depuis le milieu de l’été 2022, les appels sur les réseaux sociaux ont cessé d’être efficaces et sont passés à d’autres formats de travail avec les donateurs : stratification des donateurs, introduction de dons réguliers, événements de collecte de fonds, organisation de campagnes à plusieurs niveaux, réunions sur les lieux de travail et négociations. Les réseaux sociaux ont donc commencé à être utilisés davantage pour la communication avec les donateurs, la multiplication des appels et le recrutement de donateurs potentiels. Cependant, la plupart des collecteurs de fonds que nous avons interrogés n’ont pas perdu leur public de donateurs dans les médias sociaux : ils ont continué à publier des vidéos qui ont permis de collecter des fonds. L’une des personnes interrogées nous a expliqué que sa marque, ou plutôt la notoriété de sa marque, avait contribué à son succès.
6- La collecte de fonds stratégique reste essentielle à long terme
Pendant les deux années de guerre, la transition vers la collecte de fonds stratégique s’est faite progressivement. Les réunions sporadiques sur les réseaux sociaux et les histoires émotionnelles ne donnent plus de résultats. Par conséquent, les organisations et les activistes utilisent des méthodes et des approches basées sur des résultats à long terme : stratification des donateurs, intégration des activités dans la campagne, attraction de dons réguliers, création de réseaux de partenaires pour la collecte de fonds, propositions de projets d’entreprise et attraction de grands donateurs par le biais de négociations.
L’innovation et le caractère unique des champions de la collecte de fonds ont été obtenus grâce à leur volonté de rationaliser et de se concentrer sur un service exceptionnel que l’organisation peut fournir et qui a permis de créer une marque. Grâce à eux, la société civile ukrainienne a pu créer un réseau imprégné de confiance et de solidarité, avec des myriades de contacts, de connexions, de relations, d’empathie et de soutien mutuel – le capital social.
Pour plus d’informations sur Svitlana ou pour la contacter, cliquez ici.
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